Terrasses de Lavaux, chapelle fribourgeoise, plage du Léman: la Suisse romande connaît une recrudescence de crimes. Du moins dans l’imagination d’auteurs de polars toujours plus nombreux à placer l’action de leur roman dans le village ou le quartier de leurs lecteurs.
Chimiste en charge du contrôle qualité des produits vendus à Migros, Marlène Krampé devient, une fois chez elle, Marlène Charine, auteure de thrillers à succès récompensée par des prix littéraires en Suisse, Belgique et France.
Le polar romand se porte bien. Très bien, même. Désinhibé par les succès en librairie de Nicolas Feuz et Marc Voltenauer, un grand nombre de femmes et d’hommes des quatre coins de la Suisse romande se lancent dans l’écriture de romans policiers et s’amusent à imaginer des crimes sordides et des enquêtes solides. À ce foisonnement quantitatif s’ajoute une hausse qualitative. «Dans l’ensemble, j’ai l’impression que le niveau s’améliore», remarque Kathleen Malcause, l’une des grandes spécialistes du polar en Suisse qui possède environ 12 000 titres dans sa bibliothèque-librairie monothématique Le Crime Parfait. Ainsi, les auteurs font désormais souvent de longues recherches en histoire, en médecine légale ou en informatique par exemple pour donner du corps à leur roman. «Certains écrivains sont également procureur de la République, médecin légiste ou commissaire. Ils apportent leurs expériences à leur récit et font vendre, car le lecteur s’attend à trouver des informations techniques et scientifiques, comme on peut les trouver dans les séries policières à la télévision.»
Autre amélioration narrative: l’action se déroule désormais au coin de la rue. «Michel Bory dans les années 1990 plaçait déjà ses personnages dans le Chablais, mais cela restait marginal. Aujourd’hui, les auteurs utilisent bien plus fréquemment un village ou un bistrot que le lecteur connaît comme décor de leurs enquêtes policières. Cela plaît beaucoup», analyse Kathleen Malcause.
Ayant gagné ses lettres de noblesse et tourné le dos au roman de gare, le polar ne reste toutefois pas à l’abri d’un faux pas. «Un premier livre, ce n’est pas forcément bon, avertit Kathleen Malcause. Il faut construire avec soin son récit et éviter les kilos de dialogues qui ne servent à rien. Pour moi, un bon polar, c’est un livre où l’on ressent l’intelligence de l’auteur. C’est aussi un ouvrage où l’on apprend des choses, comme le dernier Voltenauer qui se passe dans les mines de sel à Bex et qui donne un éclairage historique très intéressant.»
Aux jeunes auteurs, Kathleen Malcause donne encore un conseil: «Ne dites pas forcément oui à la première offre d’un éditeur. Il est important de s’assurer que l’on aura son mot à dire sur le titre final et la couverture, qui sont les cartes de visite du livre. S’ils sont ratés, les ventes ne décolleront pas.»
Bibliothèque-librairie Le Crime Parfait, réouverture prévue en fin d’année à Villars. Vente en ligne possible sur www.lecrimeparfait.ch
Roman, nouvelle, récit de vie, scénario, pièce de théâtre: Laurence Voïta s’est déjà essayée à de nombreux genres littéraires. «J’aime raconter des histoires. Peu importe la forme, même si j’ai une prédilection pour le roman», résume cette ancienne enseignante de français au gymnase de Burier, à La Tour-de-Peilz (VD). L’an dernier, la Vaudoise a même sorti son premier polar – un peu par hasard. «J’avais commencé à écrire un roman sur deux personnages dont l’un a gagné à la loterie, avant que mon mari (ndlr: l’acteur et réalisateur Michel Voïta) m’incite à le transformer en roman policier.»
Prête à relever le défi, Laurence Voïta reprend son récit en ajoutant une touche de noirceur. «Ce qui m’intéressait ici, ce n’est pas d’écrire sur un crime mais sur la violence psychologique qui peut amener une personne à en tuer une autre. Je n’ai pas pour autant changé mon écriture. Je me suis simplement efforcée de répondre aux contraintes propres au genre du polar. Ainsi, il faut être très rigoureux sur les dates, sur les lieux. Chaque détail compte.»
Au final, son enquête parue l’été dernier tournant autour d’un meurtre sur une plage de la Riviera et d’un gros gagnant à la loterie a séduit aussi bien le public que la critique, qui a décerné à Laurence Voïta le Prix du Polar romand 2021. «Quand on écrit, on ne sait jamais vraiment si cela va plaire. Cette récompense me donne une légitimité professionnelle et m’incite à poursuivre dans cette voie. Je suis d’ailleurs en train de terminer un deuxième polar où l’on retrouve l’inspecteur Bruno Schneider et son équipe. J’avais envie de continuer un bout de chemin avec eux.»
Jamais à court d’idées, Laurence Voïta ne connaît pas le syndrome de la page blanche. «J’ai beaucoup d’imagination et je prends du plaisir à écrire. Ce n’est pas du tout une torture. Si cela le devenait, j’arrêterais aussitôt.» Tous les matins aprèsun café et une promenade avec son chien, l’auteure se met à son bureau. «Je remplis des cahiers A4, toujours avec le même stylo. Et l’après-midi, je jardine ou vais me balader. Cela ressemble beaucoup à une vie idéale.»
Laurence Voïta, Au point 1230, Les Éditions Romann.
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Novembre 1996. Des malfrats font stopper un Intercity à Grandvaux (VD) pour dévaliser le fourgon postal censé contenir un fabuleux butin. Ce casse, qui n’est pas sans rappeler la fameuse attaque du Londres-Glasgow, a bel et bien eu lieu et ses auteurs n’ont jamais été retrouvés malgré les efforts des enquêteurs, dont un certain Yves Paudex, inspecteur puis commissaire à la police de sûreté vaudoise durant trente ans. Aujourd’hui à la retraite, ce Lausannois a eu envie de trouver un dénouement à cette affaire et en a fait le sujet de son deuxième polar. «Les auteurs de ce vol sont de grands professionnels. Tout s’est déroulé en à peine six minutes, sans bavure. Quelque part, je les admire et j’avais envie d’imaginer ce qu’ils sont devenus. À part la date de l’action, que j’ai placée à la veille de Noël 1998, et le meurtre du surveillant qui était dans le wagon, le début de livre ne relate que des faits réels. Le reste n’est que fiction.»
Habitué à relater des faits, Yves Paudex a passé de nombreuses heures derrière sa machine à écrire ou son ordinateur durant sa carrière. «Nous écrivons beaucoup à la police. Il s’agit de rapports judiciaires, qui sont très factuels et objectifs. Désormais, en tant que romancier, je peux mettre de la chair sur le squelette.» Et donner de la profondeur à ses personnages. Ainsi, le duo d’enquêteurs en charge du dossier, qui n’ont que peu de points communs, se rapproche au fil des pages. Quant aux malfrats, ils dévoilent au fur et à mesure de l’action leurs peurs et leurs faiblesses. «Derrière les flics et les voyous se cachent des hommes et des femmes qui ont des aspirations. J’avais envie de montrer cette face plus secrète de leur caractère.»
Écrit durant le premier semi-confinement, le roman ne disposait pas d’un canevas précis. «Les chapitres qui se déroulent au CHUV ou dans la cathédrale de Lausanne sont nés de mon imagination alors que j’étais déjà en pleine écriture. Je travaille à l’envie.» Une envie qui l’emmène aussi du côté de la photographie, son autre passion. Et Yves Paudex de publier bientôt un nouvel ouvrage – cette fois composé de photos prises dans le canton de Vaud.
Yves Paudex, Le train des brumes, Éd. Plaisir de Lire.
Employé de commerce de formation et documentaliste de profession, Laurent Eltschinger n’est pas issu des sphères littéraires mais vient du monde de la paysannerie fribourgeoise. Une facilité à rédiger et à transmettre des émotions l’a toutefois incité à oser devenir auteur. Tout comme certains signes. «Durant une messe de souvenir en l’honneur de mon père dans la chapelle de Posat, je me suis surpris à écrire Le combat des Vierges sur un bout de papier, sans trop savoir pourquoi. Le lendemain, je voyais une annonce pour participer à un concours de rédaction de polar. J’y ai vu une invitation et me suis lancé dans l’écriture de ce qui est devenu mon premier roman.»
Ayant vécu les vingt-cinq premières années de sa vie à Posat, Laurent Eltschinger y place naturellement son action. «J’ai lu énormément de romans policiers. Je me souviens d’avoir eu beaucoup de plaisir à lire La morte du lac de Pérolles écrit par Colette Gaillard bien avant que le polar romand ne se développe. Le fait que l’action se déroule dans les tea-rooms où je vais boire mon café par exemple m’a permis de m’identifier avec les personnages.» Et puis, la campagne fribourgeoise est propice à voir naître d’étranges histoires, entre dévotion à des statues que l’on dit miraculeuses et phénomènes ésotériques, qui ne vont pas faciliter la tâche des enquêteurs… «Je me suis inspiré de tous ces faits que l’on n’explique pas et les ai confrontés à la science forensique. Mon livre n’a donc rien à voir avec une enquête façon Les Experts. Ces croyances, qui font partie du terroir, ont toute leur place dans mon polar.»
Rédigé en à peine deux mois, Le combat des Vierges a laissé son auteur dans le désarroi une fois le tapuscrit terminé. «J’ai ressenti un manque et de la frustration de ne pas pouvoir développer davantage le caractère de mon héros principal, l’inspecteur Jean-Bernard Brun.» Résultat: Laurent Eltschinger s’est remis aussitôt en selle. «J’ai signé pour quatre nouveaux romans, dont les sorties s’échelonneront jusqu’en 2023.» Ils se dérouleront en terres romandes, des Verrières à Chamoson. «Nous avons de magnifiques paysages ici. Ce sont des décors parfaits pour des livres.»
Laurent Eltschinger, Le combat des Vierges, Éd. Montsalvens.
© Images: François Wavre | Lundi13