Le Rhin, l’Aar et le Rhône sont trois des plus longs fleuves, parmi les 1500 lacs et cours d’eau que compte la Suisse. Les petites rivières ont leur charme. Nous avons rassemblé sept promenades tranquilles, au bord de l’eau.
Explosifs et allumettes ne sauraient avoir commerce ensemble. Ils ont pourtant un point commun. Tous deux emploient du chlorate de potassium, une substance qui fut produite au Saut du Day, l’impressionnante chute de l’Orbe, haute de soixante-dix mètres, dans le Jura vaudois. Cette rivière sauvage fournissait de l’électricité pour la production du chlorate de potassium, et l’usine donnait du travail à cette vallée reculée, assurant sa prospérité pendant quatre-vingts ans. La fin advint en 1972. L’usine fit faillite et les installations furent détruites. Il n’en reste qu’un tunnel, encore accessible aujourd’hui sous le Saut du Day. Le sentier de randonnée traverse le paysage grandiose des gorges de l’Orbe, en aval du petit village du Day, et passe sous la chute. Premier temps fort parmi de nombreux autres, sur le chemin menant à la petite ville médiévale d’Orbe: le parcours aventureux à travers les rochers, rapides et bassins formés par la rivière, et les forêts sauvages où les chamois ont élu domicile.
Après Genève, la Suisse s’arrête. C’est vrai - mais entre la ville et la frontière nationale, près de La Plaine, s’étend encore un paysage qui surprend par sa contigüité avec la nature, son étendue et son caractère sauvage. La pointe sud-ouest du pays est marquée par le Rhône, qui est déjà à cet endroit un fleuve imposant. Sur 27 kilomètres, il serpente à travers le canton de Genève, formant des boucles, de grands bancs de sable et des baies cachées, abreuvant des forêts et des paysages alluviaux d’une beauté unique et offrant abri et nourriture à une multitude d’oiseaux aquatiques. C’est une jungle verte dans laquelle les randonneurs et randonneuses s’immergent et se sentent bien - parfois directement au bord de l’eau, parfois sur de jolis chemins, à travers des forêts ancestrales ou de vastes parcs. Mais l’autre Genève, celle des transports, des grands ensembles et des usines imposantes, est proche. Et c’est ainsi qu’une randonnée sur le Rhône est un jeu entre nature et civilisation. Un jeu qui vaut largement ce détour vers l’extrémité de la Suisse.
Il fait partie des grands, et pourtant il est peu connu dans notre pays: le Doubs. La quasi-totalité de son voyage de 450 kilomètres passe par la France, sauf entre Les Brenets et St-Ursanne, où il fait une brève halte en Suisse. Il a profondément creusé son lit dans le paysage primitif du Jura, créant une gorge aux pentes abruptes, recouvertes de forêts denses, qui laissent peu d’espace aux routes et aux habitations, mais accueillent un sentier de randonnée, le long de la rivière. Quatre jours pour suivre le Doubs et s’immerger dans un monde qui vous fait oublier la civilisation. Le cincle plongeur et le martin-pêcheur nous tiennent compagnie et dans l’eau sombre, le poisson le plus rare de Suisse, le Roi du Doubs, est également présent. Mais aussi beau que soit le fleuve, la qualité de son eau est mauvaise. Les stations d’épuration, l’agriculture et la production d’électricité le mettent à mal. Un plan d’action pour un Doubs vivant est en cours. On croise les doigts pour que les mesures en faveur du Roi du Doubs soient efficaces et que ce poisson rare survive.
375 kilomètres. Aucun autre fleuve de Suisse n’est plus long que le Rhin. Tel un puissant ruban bleu, il s’étire à travers l’est du pays. Avec ses affluents, il évacue 80% de l’eau de notre territoire. La Thur aussi a droit à son superlatif: au confluent du Rhin, les Thurauen constituent le plus grand paysage alluvial du plateau suisse. Depuis 2017, le fleuve est libre de façonner lui-même sa zone d’embouchure et d’y créer des îles, des bancs de sable, des bras latéraux, et même des inondations. En peu de temps est né un paysage impressionnant, où le martin-pêcheur, le castor, le loriot et le petit gravelot ont élu domicile et où l’être humain peut parfois se croire en Amazonie. Au fil d’une randonnée entre Flaach et Rheinau, au nord-est du canton de Zurich, on fait connaissance avec deux paysages: les Thurauen et le Rhin. En faisant un détour par le Thur-Spitz, on se retrouve même au milieu de l’embouchure du Rhin et de la Thur, entouré d’eau de tous côtés.
En se balançant sur le pont suspendu qui enjambe la Singine, dans le Sensegraben bernois, et en regardant les gorges du haut, on découvre un cours d’eau unique en son genre. De hautes parois rocheuses délimitent une large tranchée, dont les bords sont tapissés de forêts denses, aux feuillus centenaires. Au milieu, le fleuve dessine ses boucles et forme des îles, des bancs de sable, des marches et de petites plages de sable. La Singine, qui forme sur de longs tronçons la frontière cantonale entre Berne et Fribourg, n’est aménagée qu’en peu d’endroits et fait partie des rivières les plus naturelles de Suisse. En aval de ce pont suspendu, la Singine accueille un second joyau: la Schwarzwasser. Cette rivière, elle aussi, forme des gorges impressionnantes et peut librement laisser cours à sa force créatrice. Là où elles se rejoignent, sous le pont imposant qui enjambe la Schwarzwasser, elles ont créé un paysage originel, qui attire d’innombrables visiteurs et visiteuses les jours de beau temps. On s’y adonne à la baignade, aux feux de camps, au rire et à la fête, ce qui ne saurait offusquer deux rivières aussi libres.
De nombreuses touches de couleur ponctuent la Reuss entre Bremgarten et Mellingen. Glissant silencieusement sur l’eau d’un bleu profond, elles laissent de temps à autre entendre un murmure ou un rire. Au cours de son voyage à travers l’Argovie, la Reuss façonne l’un des plus beaux parcours du plateau suisse: des rives naturelles ornées de grands arbres et parsemées de criques de sable retirées, intimes, de petites îles, des tronçons ponctués de rapides et d’autres offrant des eaux calmes et peu profondes. Les kayaks, les canoës et les canots pneumatiques y sont légion, et de temps en temps, quelqu’un ose se jeter dans l’eau fraîche. Depuis le chemin de la rive, on peut leur faire signe, à ces touches de couleur qui rient. Et le chemin sur la terre ferme n’est pas moins impressionnant. Il passe presque toujours au bord de l’eau et permet de plonger dans un paysage pittoresque. Une forêt laissée à elle-même et un ancien monastère viennent à sa rencontre. Avec un peu de chance, on découvre des traces de castor ou on voit filer le martin-pêcheur. Ce diamant volant, avec son plumage coloré, aime se percher juste au-dessus de l’eau, et guetter les poissons.
Emme. Quand on parle de l’Emme, c’est généralement de la rivière qui traverse l’Emmental bernois et se jette dans l’Aar, quelque part sur le plateau suisse. Mais les voisins de l’Emmental, les Lucernois de l’Entlebuch, ont aussi leur Emme. Elle s’appelle la Petite Emme, prend sa source au Rothorn de Brienz près de Sörenberg, s’appelle Waldemme à ses débuts et se jette dans la Reuss près d’Emmen. «Petit» ne veut pas dire insignifiant. Avec ses 60 kilomètres, c’est la plus longue rivière du canton de Lucerne, et ses crues sont redoutées. Après les intempéries de 2005, la Petite Emme a causé pour plus de 300 millions de francs de dommages, mais les jours de beau temps, elle se montre paisible et proche, notamment entre Entlebuch et Wolhusen, son tronçon le plus sauvage. On y trouve une zone alluviale d’importance nationale. La bande de transition entre l’eau et la terre ferme, près d’Emmenmätteli, est régulièrement inondée et remodelée. Ces habitats changeants abritent une multitude d’animaux et de plantes. La rivière elle-même se présente tantôt comme un cours d’eau calme, tantôt comme un torrent sauvage et écumant. Ses rives sont festonnées de forêts rustiques, où serpente le sentier de randonnée.