Pour bien organiser le quotidien de la famille, il faut penser à mille petites choses, ce qui demande parfois presque autant d’énergie que l’action elle-même. Une psychologue nous explique comment mieux gérer la charge mentale.
Votre fille a besoin de nouvelles chaussures, votre fils d’aller chez la dentiste et vous devez leur rappeler de faire leurs exercices de piano. Il faut aussi penser à l’anniversaire de grand-maman et trouver un appartement pour les vacances d’été. Afin que la vie de famille se déroule sans accroc, il est indispensable de déployer des talents d’organisation. Dans le schéma familial traditionnel, ce sont les femmes qui assument la plus grande partie de ce travail de réflexion. Elles sont souvent à bout de forces. Depuis quelques années, le terme «charge mentale» est devenu courant dans les pays francophones.
Comme le passage est progressif entre la charge ressentie et la surcharge, on ne peut pas séparer ces deux notions de manière distincte. En cas d’apparition de symptômes néfastes pour la santé, on parle clairement de surcharge mentale. Cependant, dans la littérature médicale, on parle uniquement de charge mentale.
Il s’agit d’une traduction de l’anglais «Mental load». Plus que du temps et de l’énergie, c’est le processus de réflexion nécessaire pour accomplir les tâches. Dans un quotidien complexe, il faut systématiquement penser à tout et s’organiser pour assurer une coordination sans faille et un timing parfait, sans rien oublier. Le terme de charge mentale s’emploie surtout dans le contexte familial et ce sont souvent les mères qui la supportent.
Lorsqu’on a un tas de choses en tête, même s’il s’agit surtout de banalités, il est souvent difficile de se concentrer sur son travail ou de se déconnecter suffisamment pour se reposer pendant son temps libre. Il peut arriver qu’on se réveille la nuit et qu’on ne puisse plus se rendormir à la pensée soudaine d’une tâche à accomplir ou d’une chose oubliée. De plus, comme le travail de réflexion du quotidien ne se voit pas, il n’est souvent pas valorisé.
À long terme et faute de repos suffisant, la charge mentale peut augmenter le niveau de stress au point d’entraîner de vrais problèmes de santé: irritabilité, troubles du sommeil, ruminations, palpitations cardiaques ou tensions, pouvant conduire à une dépression. Ces perturbations sont également susceptibles de mettre à mal les relations au sein et en dehors de la famille. «En cas de troubles du sommeil persistants ou de sentiment de surmenage, mieux vaut demander de l’aide», conseille Claudia Meier Magistretti, psychologue et psychothérapeute en formation chez WePractice, à Berne.
Oui, surtout si elles ont des enfants. Dans un sondage réalisé en 2021 par l’institut Sotomo, à la demande du magazine Annabelle, 81% des femmes interrogées ont déclaré en faire beaucoup plus que leur partenaire concernant l’organisation générale du ménage et le fait «de ne rien oublier». D’après ce qu’elles ressentent, les femmes au foyer assument également plus de responsabilités dans l’entretien des relations avec la famille, le cercle amical et le voisinage, la garde des enfants et leur éducation, ainsi que dans la planification des vacances et des loisirs. En revanche, leurs partenaires contribuent davantage aux revenus financiers et s’occupent des réparations à la maison. La majorité des couples exprime une volonté égalitaire lors de la première grossesse. Mais d’après la recherche, seule une minorité parvient à mettre ces valeurs en pratique en tant que famille.
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Elles entendent souvent ce reproche: «Tu es trop perfectionniste! Tu veux toujours tout faire! Tu ne sais pas lâcher prise!» ... et ainsi de suite. Il est difficile de savoir si ces reproches sont justifiés et cela dépend de la situation. Les femmes ont la réputation d’être très exigeantes vis-à-vis d’elles-mêmes et de la famille. Et donc d’avoir du mal à se décharger d’une tâche sans vérifier constamment qu’elle est parfaitement exécutée. Si le papa se contente de réchauffer des raviolis au lieu de préparer un repas équilibré, cela ne leur suffira pas. D’un autre côté, les femmes sont également plus surveillées par la société et leurs faiblesses plus volontiers montrées du doigt. Si un enfant ne fait pas ses devoirs ou si son goûter n’est pas équilibré, c’est plutôt la mère qui sera en tenue pour responsable. C’est plutôt elle, également, qui aura honte de son manquement.
Oui, bien sûr. Il est toutefois exceptionnel que les hommes assument la plus grande partie du travail d’organisation et de réflexion dans la famille. Mais un travail exigeant conjugué à une fonction bénévole telle que conseiller municipal, pompier volontaire ou entraîneur de football implique non seulement d’investir beaucoup de temps, mais aussi de faire preuve d’organisation pour ne rien oublier. «Les pères qui exercent des fonctions flexibles, qui occupent des postes à responsabilité ou qui travaillent dans des conditions difficiles, par exemple par roulement, sont également concernés par la charge mentale», explique Claudia Meier Magistretti. De plus, lorsqu’ils souhaitent réduire leur temps de travail ne serait-ce que de 10%, les hommes sont encore regardés d’un drôle d’air et leurs ambitions remises en question. Le préjudice de carrière lié au travail à temps partiel est plus important pour les hommes que pour les femmes.
Là aussi, la pression est inégale et reflète la répartition des rôles familiaux ancrée dans l’inconscient collectif. Cela dit, la charge mentale s’exerce avec une force encore accrue sur les mères et les pères célibataires. En plus des milliers de choses auxquelles ils et elles doivent penser au quotidien, il leur faut planifier la garde des enfants et se mettre d’accord avec l’ex-partenaire. Ce qui s’accompagne souvent d’une charge émotionnelle, en particulier au moment de la séparation. En outre, le stress des parents célibataires est souvent aggravé par le manque de temps et les difficultés financières, ce qui les rend plus fragiles psychologiquement que les personnes dont la relation est stable.
«La charge mentale est souvent vécue comme un problème, voire un échec personnel», explique Claudia Meier Magistretti. Selon elle, il s’agit aussi d’une conséquence du manque d’offres de soutien et de structures pour les familles. Elle déplore l’insuffisance des bases légales et des réglementations sur le lieu de travail, en Suisse. Des jours de congé accordés aux parents, pour l’adaptation à la crèche par exemple, seraient un soulagement. «Les pays scandinaves montrent l’exemple», constate Claudia Meier Magistretti: «Avec des congés de maternité et de paternité beaucoup plus longs et la garantie de retrouver son emploi. De quoi démarrer un peu mieux dans la vie de famille.»